LAURENT LAMOTHE

Laurent Lamothe in Haiti with his Foundation

Combattre la pauvreté extrême, la faim et l’exclusion sociale, une avenue qui a guidé les 31 mois de mon passage en tant que chef de gouvernement

En Haïti, la réalité omniprésente de la pauvreté et sa dimension déshumanisante m’ont interpellé dès le départ sur la nécessité de réinventer la construction de nos rapports de société sur une base d’équité, de justice sociale et de solidarité. En mai 2012, le pays portait encore les lourdes conséquences du tremblement de terre du 12 janvier 2010 avec l’héritage d’une pauvreté à caractère multidimensionnel plutôt flagrante. Il a fallu une volonté manifeste et inébranlable de mon gouvernement de mettre pleinement en œuvre des instruments appropriés de lutte contre la pauvreté à travers le lancement d’actions orientées vers les couches les plus démunies de la population.

À l’instar de plusieurs pays de l’Amérique Latine, mon gouvernement a emprunté la voie de l’option préférentielle pour les pauvres[1] qui se révèle être la seule capable de sortir à brève échéance les majorités souffrantes de la planète des affres de la misère et du désespoir. C’est donc en toute objectivité que mon gouvernement a adhéré dès le départ à cette vision et en a fait son cheval de bataille pour affronter concrètement la lutte contre la pauvreté extrême dans le pays.

L’option préférentielle pour les pauvres

Pour moi, réduire les inégalités, supprimer la pauvreté extrême, changer les mentalités, représentent non seulement une obligation gouvernementale, mais aussi citoyenne.

J’ai donc dû me lancer dans une démarche de lutte contre les non-libertés évidentes dans les domaines politique, social et économique. C’est là un devoir patriotique incontournable qui dépasse largement le champ étroit d’un gouvernement établi et de tout esprit partisan. Y adhérer est tout simplement un devoir souverain.

Environ 24%[2] de nos frères et sœurs dont le revenu journalier est inférieur à 1,00 $US vivent dans l’extrême pauvreté en Haïti. Pour la combattre, mon gouvernement a dû soutenir une stratégie agressive entre 2012 et 2014 mettant en exergue les démarches suivantes à travers des actions sociales concrètes:

1-Placer l’humain au centre des préoccupations de l’État

2-Construire de nouveaux paradigmes

3-Faire de l’homme et de son bien-être le centre de toute activité politique et économique

4-Faire renaître les traditions qui ont toujours été les vraies richesses du peuple;

5-Mettre fin à la marginalisation, à l’exclusion qui frappent les individus des classes défavorisées, “Fòk pèp la jwenn” et « Fòk pèp la patisipe »;

6-Leur donner la capacité de décider eux-mêmes ce qui est bon pour eux et de dessiner leur avenir;

7-Finalement et surtout, tout mettre en œuvre pour réduire les inégalités afin de faire d’eux des citoyennes et des citoyens à part entière.

fotolia_39008962_xsIl faut donc donner à ceux qu’on qualifie de pauvres, la liberté de ne pas mourir de faim, de disposer d’un revenu comme moyen d’accéder à un certain nombre de biens, à la santé, à l’éducation, à la culture à une spiritualité choisie[3]. Par la politique et les actions sociales contre la pauvreté extrême, je voulais amener les masses défavorisées à accéder à cette liberté. Pour édification, je voudrais ci-après rappeler une liste non-exhaustive des mécanismes et d’outils mis en place pour rendre effectives ces actions :

fingerCréation du Bureau de la Ministre Déléguée auprès du Premier Ministre Chargée des Droits Humains et de la Lutte contre la Pauvreté Extrême,[spacer height=”2px”]
fingerCréation du Bureau de la Ministre Déléguée Chargée de la promotion de la paysannerie,[spacer height=”2px”]
fingerCréation du Bureau de la Sécurité Énergétique[spacer height=”2px”]
fingerCréation du Comité Interministériel des Droits de la Personne (CIDP)[spacer height=”2px”]
fingerCréation de la commission de stabilisation de prix[4] pour lutter contre la vie chère[spacer height=”2px”]
fingerÉlaboration et exécution du programme EDE PÈP[5];[spacer height=”2px”]
fingerImplantation d’environ 400 restaurants communautaires pour lutter contre la faim dans les quartiers précaires à travers les 140 communes.[spacer height=”2px”]
fingerCampagne Nationale d’Alphabétisation qui visait l’éradication de l’analphabétisme au pays;[spacer height=”2px”]
fingerLe plan de relance agricole pour redonner à Haïti sa souveraineté alimentaire;[spacer height=”2px”]
fingerLes programmes de relocation des familles qui vivaient dans les camps (Projet 16/10) ;[spacer height=”2px”]
fingerConstruction des milliers de logements sociaux[spacer height=”2px”]
fingerLes plans spéciaux[6] implantés dans au moins 14 régions du pays pour renforcer le programme d’assistance sociale et encourager l’apprentissage de consultations citoyennes à travers l’outil « Gouvènman Lakay ou[7]».[spacer height=”20px”]

Ce sont là autant de mesures qui visaient exclusivement l’implication des catégories les plus démunies de la société comme parties prenantes de la lutte contre la pauvreté. Elles ont été élaborées de manière à former un système intégré tendant vers un seul but : réduire les inégalités sociales et économiques jusqu’à aboutir à l’éradication totale de la pauvreté à l’horizon 2030.

L’ensemble de ces mesures a été planifié de manière à s’attaquer de façon agressive à toutes les facettes de la pauvreté. À ce chapitre, il convient de signaler l’efficacité du programme EDE PÈP qui s’est révélé à la hauteur des espoirs suscités.

f3473ded2059b9c598bda521ce0dacb3EDE PÈP constitue en effet l’effort national d’assistance sociale mis en place par mon gouvernement qui a pour objectif : Protéger la population vulnérable vivant en situation de pauvreté extrême afin d’assurer à long terme l’investissement dans son capital humain et lui offrir des opportunités qui lui permettent de se sortir de sa condition inhumaine.

Il s’agit là d’un véritable système intégré de lutte contre l’extrême pauvreté formé de trois composantes :

– L’assistance sociale, qui donne aux ménages les plus pauvres des transferts conditionnés ou non, des ressources financières en espèces ou en nature qui assurent un niveau minimal de revenu.

– Le développement du capital humain, qui assure la croissance du capital humain[8] des membres des ménages pauvres à travers des programmes de promotion de la fréquentation scolaire et de la formation professionnelle.

– L’inclusion économique, qui vise la création d’emplois, l’appui aux  petites entreprises, l’accès au crédit et l’appui à la commercialisation des biens.

Tout cet ensemble d’interventions constituait un nouveau savoir-faire qui témoignait de la volonté de mon gouvernement de faire les choses autrement. Ce nouveau savoir-faire a pu démontrer dans le concret, la sincérité de l’option préférentielle pour les pauvres de laquelle s’inspire le programme national d’assistance sociale en portant l’accent sur les plus démunis et en y consacrant des dépenses auxquelles personne n’aurait consenti avant mon arrivée en tant que chef du gouvernement.

L’implantation du programme EDE PÈP a marqué une nette cassure entre ce qui se faisait avant et les actions de mon gouvernement pour combattre la pauvreté extrême et l’exclusion sociale. Ses axes stratégiques, l’insertion Sociale, le développement du Capital Humain et l’Inclusion Économique, ont cerné toute la problématique de la pauvreté et de l’extrême pauvreté. Aucun groupe vulnérable n’a été oublié. Il est à remarquer que ce programme intégré s’inscrivait dans une dynamique de développement. Il s’agissait d’une intervention qui appuyait la croissance économique tout en permettant aux mesures macroéconomiques prises de commencer à porter fruit. On oppose souvent la croissance économique et l’assistance sociale en oubliant que l’extrême pauvreté constitue un frein sérieux à toute croissance économique. Haïti est le pays le plus inégalitaire de la région. C’était important pour moi de dégager une vision sociale appropriée pour permettre à ce problème de trouver une réponse agressive et immédiate.

Je tiens à préciser que je me suis inspiré de divers modèles de programme de protection sociale de plusieurs pays d’Amérique Latine dans la démarche d’implantation des programmes sociaux. La mise en œuvre de ce nouveau savoir-faire nous a permis non seulement de mobiliser les couches les plus pauvres de la société haïtienne, mais a apporté un nouveau souffle dans la coopération d’Haïti avec différents pays de la région avec l’appui inestimable des nations sœurs comme l’Argentine, le Brésil, Cuba, l’Équateur, le Venezuela qui ont déjà expérimenté avec succès ces modèles. A ce compte, j’ai attaché une valeur inestimable à cette approche de partage d’expertise qui initie, à n’en point douter, un processus d’échanges appelé à générer une dynamique interactive d’une profitabilité certaine pour tous les pays de la région. Les appuis des pays de la région iront en s’amplifiant, au gré du renforcement de la coopération sud-sud dont les vertus ne sont plus à clamer.

determinationLa lutte doit se poursuivre pour consolider ces acquis

[spacer height=”10px”]Je voudrais, à partir de la vision Option préférentielle pour les pauvres, consacrer la participation citoyenne et la justice sociale comme mécanismes de légitimité démocratique complète afin d’enrichir les formes traditionnelles de la démocratie représentative (Éli, J.R, 2007)[9]. Il faudrait donc renforcer la force participative dans la construction de la stratégie nationale d’un pouvoir social décentralisé où les pauvres auront leur place. L’exercice démocratique doit devenir un apprentissage de la construction du pouvoir social, quartier par quartier, section communale par section communale, habitation par habitation à partir de la base jusqu’à la structure centrale pour une Haïti plus juste.

À venir d’ici la semaine prochaine sur le blog :

Les plans spéciaux et « Gouvèlman Lakay ou », deux outils de mobilisation citoyenne sur le chemin de la construction d’un pouvoir social

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[1] L’option préférentielle pour les pauvres tire sa source de la théologie de libération qui est une doctrine d’amour chrétien élaborée par l’Église catholique en Amérique Latine.

[2] La pauvreté́ est gé́néralisée en Haïti, avec un taux national de 58,7 % et un taux de pauvreté extrême de 23.9 % en 2012 (2012 ECVMAS calculs de la Banque mondiale).

[3] Paul Grosjean. «La pensée d’Amartya Sen sur le développement». Revue Quart Monde, N°176 – Le droit de participer Année 2000Revue Quart Monde
document.php?id=2253

[4] http://www.haitilibre.com/article-6649-haiti-social-le-gouvernement-passe-a-l-action-contre-la-vie-chere.html

À travers 15 mesures ciblées, la CSP voulait parvenir à la souveraineté et la sécurité alimentaire sur tout le territoire.

[5] En voir la définition plus bas.

[6]

[7] Le droit à la population de questionner les actions du gouvernement dans son département, sa commune dans le cadre d’un exercice de dialogue social.

[8] Le capital humain est l’ensemble des aptitudes, talents, qualifications, expériences accumulés par un individu et qui déterminent en partie sa capacité à travailler ou à produire pour lui-même ou pour les autres. (Introduction à l’économie de Jacques Généreux)

[9] Participation citoyenne, Décentralisation selon les propos de Jean Renol Éli (Éli, J.R, 2007)