LAURENT LAMOTHE

Des élèves de Kawangware, un bidonville de Nairobi, au Kenya, utilisent une tablette créée par une entreprise locale, en octobre 2015. SIMON MAINA / AFP

L’école Africaine Réinventée

A Abidjan, Témi, 10 ans, aura bientôt terminé de concevoir son jeu vidéo. A Kigali, Samuel a monté une exploitation de champignons au sein de son lycée. A Antananarivo, une classe d’adolescents brillants mais défavorisés travaille la confiance en soi et le savoir-être avant d’entrer à l’université…

Ni rêve éveillé, ni mirage, l’école de demain existe déjà en Afrique, ici et là. Une institution bienveillante, connectée, qui forme les enfants sans bourrage de crâne, pour construire un citoyen créatif et performant, armé pour propulser son continent dans la quatrième révolution industrielle. Elle s’incarne dans quelques établissements qui n’ont rien à envier à ceux d’Europe mais restent des exceptions, des écoles des marges, qui ont besoin d’un sérieux coup de projecteur pour être vraiment visibles dans un contexte global où l’éducation est encore très lacunaire.

Progrès quantitatif

Il reste un long chemin à parcourir avant d’envisager un passage à plus grande échelle pour ces innovations. Car, pour l’heure, en matière scolaire, l’Afrique a beau avoir fait des progrès conséquents, elle reste à la traîne. D’Alger au Cap, l’élève lambda continue de s’entasser dans des classes surpeuplées et apprend comme il peut dans un système peu enclin à l’efficacité, encadré par des enseignants mal formés et peu rémunérés.

En dépit des nuances entre les pays, ce paysage domine un peu partout, même si l’Afrique n’a pas laissé son école en jachère. Au contraire. Globalement, l’accès au primaire profite aujourd’hui à 80 % des enfants, contre 64 % en 2000. Et près de quatre enfants sur dix vont au collège, contre moins de trois il y a quinze ans, selon la Banque mondiale. Un progrès quantitatif remarquable, certes, mais qui ne dit rien de ce qu’apprennent réellement les élèves. Et là encore, le bât blesse.

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La mise en place d’évaluations, ces dernières années, a malheureusement permis de mettre le doigt sur le peu d’efficacité des systèmes éducatifs classiques. En Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale francophones, où le niveau des élèves de sixième année du primaire a été mesuré, moins de 45 % des élèves possèdent des connaissances « suffisantes » en lecture ou en mathématiques pour poursuivre leurs études. Plus de la moitié des cohortes testées bloquent sur un problème de mathématiques nécessitant de diviser 130 par 26. Et si les progrès de ces dernières années continuent au rythme actuel sans s’accélérer, les élèves tunisiens, pour ne citer qu’un exemple, arriveront au niveau en mathématiques de la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans cent quatre-vingts ans, selon l’Unesco.

Prise de conscience

Une rupture est donc nécessaire, qui impose de penser un modèle capable de former plus massivement et autrement les artisans de l’Afrique de demain. Oublier les modèles classiques semble la seule solution, car, en restant sur l’approche actuelle, les pays à revenu faible et intermédiaire n’auraient d’autres choix que d’accroître leurs dépenses de 117 % d’ici à 2030 pour scolariser les 170 millions d’enfants supplémentaires à naître dans la décennie, d’après la commission de l’éducation de l’Unesco. Et c’est bien l’analyse que fait Albert Nsengiyumva, le secrétaire exécutif de l’Association pour le développement de l’éducation en Afrique (ADEA). Pour lui, « qualité et quantité ne s’excluent pas si on arrive à trouver le modèle efficace : une école numérique qui, avec le développement de l’intelligence artificielle, pourra s’adapter en finesse aux besoins de chaque élève ».

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Aujourd’hui, peu d’exemples sont déjà en place, mais la prise de conscience est déjà là. Toute une ingénierie éducative s’installe, dont l’une des illustrations est le lancement par le groupe Investisseurs & Partenaires (I & P) du premier fonds d’impact dévolu à l’éducation, preuve que le Nord est prêt à s’investir autrement que par une aide au développement qui n’a pas vraiment bousculé les lignes éducatives. Plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) osent aussi cette carte de l’innovation disruptive. Ce sera le propos de cette série de six articles qui s’arrêtent sur des écoles différentes mais dont la mission est la même : former les bâtisseurs d’une Afrique en mouvement.